Une analyse de la carte scolaire du Cameroun de 2016 à 2020 réalisée par le ministère de l’Education de base, montre que plus d’une dizaine d’années après la création des ZEP, un programme d’éducation pour palier à la sous-scolarisation, le nombre de filles scolarisées est toujours en baisse.
Dans la classe du Cours moyen deuxième année (CM2) à l’École publique (EP) de Baka Mayos, l’unique de ce campement situé à environ 15 kilomètres de Dimako, département du Haut-Nyong, région de l’Est Cameroun, une seule élève est présente, ce vendredi 15 octobre 2021. Marie Huguette Avouzoua, occupe l’unique table-banc, le regard figé sur le tableau. Elle bénéficie d’un suivi particulier au cours de français. « J’aime les mathématiques contrairement au français que je trouve un peu difficile », affirme timidement l’élève de 10 ans.
Après avoir repris trois fois la Section d’initiation à la lecture (SIL), l’apprenante craint que ce retard ait un impact négatif sur son cursus scolaire. « Tous mes amis sont déjà au secondaire », confie-t-elle, pensive. Son objectif, au terme de cette année, est de réussir le Certificat d’études primaires (Cep) et le concours d’entrée en 6e. Marie est la seule des dix élèves que l’enseignant a pêchée au village en faisant du porte-à-porte plus tôt dans la matinée. Ses camarades ont boycotté cette journée, six semaines seulement après la rentrée scolaire 2020-2021. Un boycott qui n’a aucune explication fondée, selon Dieudonné Noutcheguenou, le chef de ce village situé à environ 40 kilomètres de Bertoua, chef-lieu de la région. La centaine d’élèves enregistrés sont d’ailleurs absents.
« Le véritable problème c’est que ces enfants ne vont pas jusqu’au bout de leur année scolaire. J’ai démarré l’année scolaire 2019-2020 avec 7 filles et 5 garçons en classe de Cours élémentaire deuxième année (CE2), et j’ai fini l’année uniquement avec les garçons », regrette-t-il. Le phénomène a pris de l’ampleur avec le départ de Plan Cameroon qui, pendant plus d’une dizaine d’années, donnait à manger aux enfants pour les motiver à être réguliers. Depuis 2016, l’école connaît une chute progressive de son effectif, en passant d’environ 130 à une centaine.
Plus d’écoliers inscrits que d’écolières
Comme chez les Baka, la déperdition scolaire s’observe dans plusieurs écoles de la région, autant en zone rurale qu’urbaine. A l’Est, le taux d’achèvement scolaire en 2015-2016 s’estimait à 66,2%, dont 62,9% chez les filles contre 69,4% chez les garçons, d’après les données du ministère de l’Education de Base (Minedub). Cette situation fait partie d’un certain nombre de pesanteurs qui entravent l’éducation, et qui ont fait de cette région, l’une des Zones d’éducation prioritaire du pays.
Selon Bertin Barnabé Mbassi Tsalla, expert du Programme d’Appui à la Réforme de l’Education au Cameroun (PAREC), les Zep sont les régions où les indicateurs de scolarisation sont faibles. L’Adamaoua, l’Est, l’Extrême-Nord et le Nord y sont classés. Mais, relève-t-il, on retrouve aussi les poches de sous scolarisation, autour des grandes métropoles (Briqueterie à Yaoundé…). Le Nord-Ouest et le Sud-Ouest peuvent aussi être classés à cause de la crise sécuritaire qui y prévaut depuis cinq ans et contribue à une profonde déscolarisation. Ces zones se caractérisent par de faibles taux d’accès, de rétention et même d’achèvement du cycle par les élèves. S’y ajoutent les disparités au niveau des genres, à l’avantage des garçons dans la plupart des cas mais aussi des filles dans d’autres.
Un aspect qui transparaît davantage avec les données relatives au taux d’achèvement du cursus par les élèves de ces régions. Dans un rapport d’analyse des données de la carte scolaire dressé par le Minedub, ce taux est évalué à 66,7% dans les ZEP entre 2015 et 2016. Moins que les autres régions du pays qui enregistrent 81,8%. Là encore, les garçons achèvent leur cursus, contrairement aux filles. Ce constat s’étend aux ZEP où 55,6% des filles vont au bout de leurs études, contre 77,8% des garçons. La situation est plus critique dans l’Adamaoua et l’Extrême-Nord qui présentent 51,2% et 53,4% d’écolières qui ne finissent pas leur cursus.
Une réalité que ressort la carte scolaire du Cameroun de 2016 à 2020 réalisée par le Minedub. En effet, pour la période 2019-2020, le nombre total d’élèves inscrits dans le primaire au Cameroun est évalué à près de cinq millions (4 975 736). Les ZEP détiennent 43% de ces effectifs. Concernant la répartition des effectifs par sexe, on note un léger avantage pour les garçons avec plus d’un million de garçons inscrits dans les ZEP en 2020, contre seulement 900 000 filles. Cette tendance à la hausse pour les garçons s’observe d’ailleurs sur toute la période 2016-2020.
Pourtant, les filles sont généralement nombreuses dès le niveau 1 de l’enseignement primaire, constitué de la SIL, CP (Cours Préparatoire) et dans une certaine mesure le CPS (Cours Préparatoire Spécial) dans le système éducatif camerounais. C’est du moins ce qui ressort des échanges avec la dizaine d’enseignants rencontrés dans le cadre de cette enquête dans 4 établissements primaires publics de l’Est au mois d’octobre 2021. Mais, à partir du niveau II (Cours Élémentaires I et II), et principalement le niveau III (Cours Moyens I et II) leur nombre commence à chuter. « A la SIL par exemple, on a des petites filles qui aiment aller à l’école. Mais au niveau du CM2, certains parents viennent les chercher et les utilisent pour travailler à la maison au détriment de l’école », regrette Elise Léopoldine Zock Ahidjo, directrice de l’Ecole publique d’application (EPA) Groupe 3B de Bertoua située en zone urbaine.
L’analyse de la carte scolaire sur la période suscitée révèle également que dans les ZEP, la région de l’Extrême-Nord enregistre le plus grand nombre d’élèves scolarisés, suivie du Nord et de l’Adamaoua. D’une région à l’autre, le nombre de filles est presque toujours inférieur à celui des garçons.« A une période de l’année, on se rend compte que les effectifs commencent à diminuer, parfois drastiquement. Plus on va vers les classes élevées, moins on retrouve les filles et même moins les enfants Baka en général », explique Venant Messe, coordonnateur d’Okani, association qui milite pour les droits légaux et humains des peuples de la forêt. Difficile cependant de comparer le nombre d’écoliers inscrits dans les ZEP à l’effectif des élèves en âge d’aller à l’école dans ces régions, au regard de la difficulté d’accès aux données liées à la population scolarisable tout au long de cette investigation qui a duré 9 mois.
A peine 30% d’institutrices
Si plusieurs acteurs du secteur de l’éducation affirment que les femmes sont en tête dans l’enseignement primaire au Cameroun, les données prouvent le contraire. Une analyse scrupuleuse de l’annuaire statistique de l’Institut national de la statistique (INS) publié en 2019 révèle qu’à peine 50% du personnel enseignant est féminin dans l’ensemble du pays. En 2018 par exemple, le Cameroun comptait 56 mille 386 enseignants dans le primaire, dont un peu plus de 26 mille 555 femmes. De cette répartition, les régions ayant le statut de ZEP, notamment l’Est, l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord, comptent moins de 40% du personnel enseignant. Ici encore, les femmes sont peu nombreuses dans le personnel enseignant.
Sur trois années scolaires successives, de 2015 à 2018, les institutrices sont ainsi évaluées à moins de 35% dans les quatre régions. L’Extrême-Nord enregistre le moins de femmes institutrices sur cette période, avec 1911 femmes sur un peu plus de 10 mille personnels en 2017-2018. Ces données prennent en compte les personnels aux profils de fonctionnaires, contractuels, contractualisés et maîtres de parents. Une situation qui a un impact immédiat sur la qualité de l’éducation des petites filles des ZEP. Pour Bertin Barnabé Mbassi Tsalla, expert en éducation, “dans certaines sociétés, les femmes encadrent mieux les filles en termes de gestion de la puberté et des premières menstrues”, entre autres.
Ce déficit de personnel féminin oblige même les hommes à prendre le relais. A l’école publique de Nganke, non loin de Bertoua, Fritz Benjamin Minla’a, instituteur en classe de Cours moyen deuxième année (CM2), a mis sur pied un dispositif. “Il arrive que j’organise des causeries avec les petites filles. J’ai constaté que lors des années antérieures, certaines élèves filles tombaient enceintes avant la fin de l’année scolaire. Je parle à celles qui se développent pour qu’elles ne soient pas détournées”, dit-il. Les besoins sont criants pour les petites filles, au regard des freins auxquels elles font face dans ces régions. Abandons scolaires, mariages et grossesses précoces, indigence des familles constituent quelques barrières à leur épanouissement scolaire.
Retour au « b-a-ba »
Enseigner dans une Zep, relève les instituteurs, est un défi perpétuel. « Nous faisons un peu plus qu’enseigner ici. Notre mission va au-delà des recommandations de la hiérarchie. Nous avons affaire à des problèmes souvent trop accablants pour ces enfants. Pourtant, il faut les instruire, en tenant compte de leurs réalités personnelles », indique Elise Léopoldine Zock Ahidjo, directrice de l’EPA Groupe 3 B. C’est le principal challenge de la scolarisation dans cette zone. Tout comme dans toutes celles où le taux de scolarisation a été faible pendant plusieurs années. A en croire ces instituteurs, les élèves ne maîtrisent pas toujours les fondamentaux. Beaucoup optent pour un retour à la méthode syllabique adoptée à la SIL. « Trois fois par semaine, je rassemble les élèves par petits groupes de trois. Nous revenons à la lecture syllabique. Beaucoup ont du mal à lire et à comprendre les leçons », affirme Dauline Fetue, institutrice en classe de CM1.
Facteurs handicapants
Une situation liée principalement au fait que la plupart de ces apprenants n’ont pas le matériel didactique.” La pauvreté reste un problème réel. Ils n’ont rien pour leur éducation, même ne serait-ce que le livre de lecture », estime Beaudolé Tioning, enseignant CM2 EPA groupe 3A. Dès lors, il devient difficile pour ces élèves de se déployer aisément. « Ma fille n’a pas pu composer le CEP parce que je n’avais pas d’argent. Elle a arrêté les études et je souhaite qu’elle puisse apprendre un métier. J’ai 8 enfants et seulement 3 vont à l’école. Nous n’avons pas d’argent pour offrir les fournitures à nos enfants et nous ne recevons plus les dons. Nous souhaitons qu’on nous aide à financer les études de nos enfants », souhaite Ernest Njos, un parent Baka.
En effet, dans les ZEP, l’éducation reste encore fortement dépendante de l’appui matériel, financier et parfois alimentaire de la société civile et des organisations internationales (Unicef, HCR). A l’Est par exemple, pour attirer les élèves dans 18 écoles, l’Ong Nascent Solutions a créé des cantines scolaires qui permettent aux élèves d’avoir au quotidien un petit déjeuner et un déjeuner. Nascent Solutions accompagne 240 écoles, dont 100 au Nord, 92 dans le Nord-Ouest, 30 dans l’Adamaoua et 18 à l’Est.
De moins en moins, la tradition est pointée du doigt comme obstacle à la scolarisation des jeunes, en particulier des filles, explique Adamou Abdon, maire de la commune de Garoua-Boulaï, une commune frontalière à la RCA, de près de 86 000 autochtones et 51 000 réfugiés. “Lorsque la petite fille est renvoyée de l’école pour non-paiement des frais de scolarité ou défaut d’acte de naissance, c’est un débarras. Les parents ne se gênent plus et attendent le jeune garçon qui viendra l’épouser. Il n’y a pas de pesanteur culturelle, c’est plus la misère qui amène les parents à se désengager de l’éducation de la jeune fille”, souligne cet élu local. Même si un changement palpable est observé dans la scolarisation des filles dans les ZEP au fil des années, les goulots d’étranglement persistent. Des efforts restent indispensables pour arriver à une équité pour tous dans l’accès à l’école.
Marie Louise Mamgue, Alexandra Tchuileu N. et Fotso Fonkam
Enquête réalisée en collaboration avec Cameroon Tribune et Data Cameroon . Initiative soutenue par Medialab Pour Elles, un projet CFI – Agence française de développement médias avec le soutien de Madeleine Ngeunga (Open Data pour Elles), et Paul Joël Kamtchang (ADISI Cameroun).